MARGUERITE par sa fille Paulette Chapal
La petite Marguerite, « Poutch » (poussin), fut la huitième enfant des Alfred Cadier. Elle est née après la mort du septième, Ernest, et avait cinq ans de moins que Charles. Elle fut élevée comme un petit bijou délicat, choyée, protégée et un peu fragile … aussi, défense à ses frères de la bousculer ! Combien de fois les vieilles bonnes d’Izarda m’ont répété, quand j’avais galopé avec frères et cousins: « Tu ne ressembles pas à ta mère I Sa robe blanche restait blanche toute la semaine! »
Ses parents ne l’envoyèrent jamais à l’école : les garçons du pays étaient souvent trop brusques ou vulgaires! C’est sa soeur aînée, Mary qui lui a appris à lire, écrire et compter. Puis le directeur du cours complémentaire de Bedous lui donna pendant trois ans des leçons particulières et l’amena jusqu’au brevet simple en 1903. Peu de temps auparavant, allant faire des courses à Oloron avec son père en diligence, Marguerite passa un mauvais moment. En attendant ses clients à Oloron, le cocher avait tout le temps de boire un coup de trop au café. En remontant la vallée d’Aspe, il dirigea mal ses chevaux et au tournant du pont d’Escot la diligence accrocha une borne et sous le choc se renversa complètement. Coincée sous la diligence. Marguerite eut un long évanouissement. Les hommes détachèrent d’abord les chevaux et pendant ce temps-là , Monsieur le curé présentait ses condoléances à Monsieur le pasteur : « Une si jolie petite, quelle perte pour vous, Monsieur le pasteur… » Revenue à elle, elle criait bien fort : »Je ne suis pas morte! » mais personne ne l’entendait.
Pendant trois étés : 1901,1903 et 1906 son grand frère Edouard vint à Osse pendant les vacances avec son ami Paul Reuss – avec qui il préparait le concours d’entrée à l’Ecole d’Electricité de Lille qu’ils intégrèrent tous les deux. Paul ne pouvait pas retourner en Alsace, devenue allemande depuis 1870, sous peine d’être mobilisé. Chaque été, il admirait plus encore cette douce et si jolie jeune fille. Lorsqu’en 1908, après un séjour en Ecosse chez sa Tante Mimmie, elle s’arrêta à Paris chez Edouard, Paul la demanda en mariage. Elle avait juste vingt ans. Ayant joué sans enthousiasme et plusieurs fois le rôle de chaperon auprès des fiancées de ses frères, elle décida de se marier le plus tôt possible, sans ennuyer personne. Ce fut le 5 août 1908 à Osse.
Ils eurent six années heureuses jusqu’à la déclaration de guerre de 1914. Paul fut mobilisé comme simple soldat et mourut le 26 septembre pendant la retraite de la Marne. Marguerite avait 26 ans. « Ma vie s’est finie à cet âge » m’a-t-elle dit le jour où une de mes cousines se mariait à 26 ans.
Voilà qu’un an plus tard, ce sont ses deux beaux-frères qui furent tués au combat à Suippes. Logeant à Versailles, pas loin de ses beaux-parents, voici ce qu’écrit Marguerite : « C’est curieux, il me semble à présent que la douleur de la mort de Paul se fond à cette dernière immense douleur. Depuis ce terrible deuil, je sens que c’est moi qui suis la plus forte, la plus solide… je sors pour eux faire des courses et des visites et reçois les condoléances avec l’air grave qui convient. Je leur laisse Georges (son fils ainé) et grand-mère me dit : »ll est notre seule consolation ».
Mais passée cette affreuse guerre, il y avait les garnements : Georges, Paulette et Jean-Paul à élever. Pas toujours sages, ils se disputaient parfois. Alors Marguerite élevait la voix « Vous n’avez pas fini ? Vous voulez être privés de dessert ou recevoir une gifle ? » – « Une gifle » choisissions-nous car …c’était une caresse !
Toute la famille a entouré Marguerite : les quatre grands-parents, les cinq frères et leur famille, les John Bost. Tous étaient prêts à conseiller, à inviter chez eux ou à nous emmener un peu en vacances. Elle a habité plusieurs années auprès des Edouard à Orléans. Les étés à Osse étaient de grandes retrouvailles. Nous sentions que nous faisions partie d’une grande famille. Nous avions cinq pères et beaucoup de frères et soeurs… jusqu’à la dernière petite soeur : Idelette.
Après le mariage de ses enfants, Marguerite vécut tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, toujours douce et souriante, bien accueillie partout et très aimée de tous ses petits-enfants.
Et puis il lui fallut supporter pendant vingt ans cette maladie de Parkinson (la chute de la diligence l’a-t-elle provoquée ?) la diminuant physiquement petit à petit, mais elle ne se plaignit jamais sauf pour regretter de donner de la peine.
Elle s’éteignit dans son sommeil à Tornac en 1965, juste après son frère Henri alors que tous les deux espéraient encore se revoir.
Paulette, décembre 1991
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