Portrait : Charles et Lucie Cadier

Charles et Lucie Cadier

par leur fille aînée, Marianne Méjean

 

 

Juin 1992

 

 

Ancêtres et familles

Charles est né à Osse en 1882. Lycée à Tournon, études pastorales à Montauban et à Genève. « Pouquet » (le petit) a remarqué dès sa jeunesse la situation exceptionnelle de Margalot (*) et s’est promis de l’acheter…

 

Lucie Aeschimann est née en 1888 à Lyon où elle vivra jusqu’à son mariage: elle passe son brevet supérieur, fait exceptionnel pour une fille à cette époque. Charles est un enfant de la campagne, Lucie de la ville. Tous les deux sont d’une famille nombreuse (8 de chaque côté) et sont enfants et petits-enfants de pasteurs. Il faut compter 15 pasteurs ou missionnaires dans leur ascendance et collatéralité – 3 grands-pères, 2 pères, 3 oncles, 2 frères ou beaux-frères !

 

Dans la famille Alfred Cadier ils seront le plus jeune couple et celui qui, avec ses huit enfants, vivra le plus longtemps à Osse. C’est Charles qui va s’occuper en partie des grands-parents d’Osse jusqu’à leur mort à Izarda.

 

L’aura de leurs parents dans le village est, et restera, telle qu’il n’y a qu’une Madame Cadier: ses belles-filles étant Mme Georges, Mme Henri, Mme Albert, Mme Edouard et Mme Charles. En traversant le village en 1989, j’ai été toute étonnée de m’entendre interpellée: « Oh, Madame Charles ! »

 

Charles et Lucie auront trois fils pasteurs, une fille missionnaire, Magui, morte au Togo en 1945, et huit neveux pasteurs !

 

Le Gabon

Pour Charles: 1909 -1926, pour Lucie : 1913 – 1926 .

 

Ils sont partis dans la joie de servir leur Maître parmi les plus deshérités du monde. Charles et Lucie aiment beaucoup leur vie à Samkisa, sur les bords de l’Ogooué mais les épreuves ne manquent pas:

1914 -1918 : l’affreuse coupure totale avec la France en guerre: courrier mettant quatre à six mois pour faire l’aller et retour. Ils apprendront ainsi la mort de trois frères, drame pour les parents, deux

veuves et trois orphelins.

1923: le ministère continue mais il faut laisser en France les trois aînés pour trois ans. Déchirement pour

 

la maman malgré la présence de trois petits puis d’un bébé. Quant aux enfants laissés en France: Pierre – 6 ans – s’en tirera très bien, ayant trouvé un deuxième foyer chez Oncle Henri et Tante Nelly. Pour Magui et moi ce fut moins facile, parfois très difficile: douleur aussi de ne pas connaître Yano avant qu’elle n’ait deux ans.

 

Retour en France -1926

Pouquet avait pu en 1922 acheter Margalot (*)! (grâce à l’aide de son père et de son frère Edouard). Il fit venir du Gabon le « bois rouge » (Okoumé) qui leur servit préalablement de caisses de déménagement – des marques restent encore visibles sous la galerie, « Bordeaux », « Cadier » – et confia l’aménagement intérieur de la maison en grande partie à Raymond Puenté-Castan afin qu’elle devienne habitable à leur retour d’Afrique. A partir de 1926 les quatre garçons aidèrent au bon fonctionnement du jardin et de son irrigation.

Idelette naît en 1927. Malgré son grand désir, Charles ne peut repartir au Gabon. La vie va commencer à Oloron.

 

Pasteur à Oloron -1928-1949

 

Vie bien remplie pour Charles et Lucie avec le travail à la Fraternité (cf. biographie d’Albert Cadier) plus huit enfants. Ils ont été aidés dans leur ménage par Oncle Henri et Tante Nelly, Tante Guite, les Edouard et par les amis de toujours , Albert Léo, Jacques Delpech et Tati Anthérieu. II faut de l’autorité, de l’ordre, de la discipline, beaucoup de travail et beaucoup d’amour car les soucis ne manquent pas. En premier lieu, soucis financiers: pas d’allocations familiales, pas de machine à laver… Pour nourrir, habiller, chausser, instruire cette couvée, les journées sont longues pour Lucie, de 6 h à 24 h sans jamais un jour de vacances. Beaucoup de temps aussi pour aider le pasteur dans son ministère, dans les contacts avec les familles, les jeunes, tous très modestes (les enfants ont cru parfois que la famille passait après la vocation…)

 

Pour Charles, il y a son ministère à Oloron et à Osse et puis le jardin qui permettra de nourrir dix personnes et plus… Ils fournissent de tout ces deux jardins d’Osse et d’Oloron : légumes, fruits, lapins…

toute l’année ! Les enfants mettent la main à la pâte: les garçons au jardin, les filles aînées pour s’occuper

 

des petits, du ménage, etc…Beaucoup de points positifs aussi: deux bons logements, le presbytère « L’abri » à Oloron, Margalot à Osse.

Un collège fréquenté plus ou moins longtemps par les huit …et les merveilleuses vacances à Osse ! (deux mois chaque été) qui nous apportent:

  • la montagne où Charles va nous emmener dès l’âge de cinq ans
  • la famille, les cousins, les Reuss qui nous serviront de grands frères et soeurs, Mireille, les Edouard…

 

Noël 1939 : c’est la guerre et nous sommes tous réunis pour la dernière fois à Oloron. Pierre et Freddy sont mobilisés, Guy et Gérard devront regagner Genève pour échapper au service civique. Je partirai moi-même quatre ans pour l’Algérie.

La retraite

A partir de 1949, Charles et Lucie s’installent à Margalot, ils accueillent enfants et petits-enfants aux vacances. Charles organise des balades en montagne ou conseille les alpinistes, neveux ou amis. Mais Osse est encore bien isolé et ils n’ont même pas l’eau courante ou de voiture…Or Lucie est malade, sa santé n’a pas pu résister à des années si dures physiquement. Elle sera soignée avec amour par Charles pendant dix ans, tantôt à Osse, tantôt en clinique ou chez leurs enfants. Elle s’éteint en 1958. Charles vivra jusqu’en 1965; il fera le bonheur de ses enfants et de 23 petits-enfants, découvrira avec passion Israël, retrouvera avec joie l’Afrique lors d’un hiver à Dakar chez les Pierre. Il gardera jusqu’au bout son calme, son humour, sa confiance et sa foi.

 

Marianne Charles

 

  • Margalot: maison des Charles à Osse en Aspe, située en dessous du cimetière, sur la route qui conduit au gave.

 

 

Années de guerre 1939 -1945                                                                par Yano HEU leur fille cadette – Juin 1992

 

Charles et Lucie ont passé les années de guerre à Oloron et Osse. La famille avait bien diminué et il n’y avait plus que trois enfants à « l’Abri », puis deux, puis un en 1944. Au début de la guerre, grande émotion pour nous, parents et enfants, de voir défiler devant notre impasse des dizaines de camions découverts dans lesquels des hommes et des femmes serrés et hurlants tendaient leurs mains vers nous. Ils partaient vers le tristement célèbre camp de concentration de Gurs, situé à 16 km d’Oloron. Charles a été nommé aumônier de ce camp et Lucie et lui ont beaucoup travaillé auprès des prisonniers allemands et juifs. Ils ont aidé l’équipe de la CIMADE dont le travail était rude et qui venait « se ressourcer » à « l’Abri ».

Lors d’une émission de télévision consacrée aux camps français en 1991, nous avons entendu ce témoignage d’un vieux juif allemand : « A Gurs j’avais deux lueurs d’espoir: d’une part, les visites du pasteur Cadier d’Oloron, qui rassemblait les protestants dans la buanderie. Il nous parlait; je ne comprenais pas grand chose mais je sentais son amour. Et cet amour, il l’a prouvé en faisant sortir des lettres, au nez de la censure. Plus tard on l’a dénoncé et on lui a interdit l’accès au camp. L’autre lueur d’espoir, c’était d’aller chez soeur Elisabeth, à la baraque du Secours Suisse… » Le camp de Gurs leur a donc été interdit après 1943. Oloron était en zone libre, Osse en zone frontière interdite. Les Allemands étaient partout. Heureusement nous étions tous domiciliés à Osse, ce qui nous a permis de faire des va-et-vient incessants. Oncle Henri et Pouquet ont fait passer de nombreuses personnes en Espagne, souvent avec l’aide des habitants d’Osse. Il s’agissait de gens qui fuyaient les Allemands ou qui voulaient rejoindre les forces françaises libres à Londres. Oncle Henri avait pris de gros risques et il savait qu’il pouvait être arrêté. Un jour la mère d’un professeur du collège d’Oloron qui travaillait à la Kommandatur à Pau apprit que les Allemands comptaient l’arrêter le soir-même. Grâce à elle et à son fils, Pouquet fut alerté à temps pour prévenir son frère « Fenouil » de quitter d’urgence son domicile. Les Allemands se sont présentés chez lui une demi-heure après son départ. Oncle Henri a pu ainsi regagner la Suisse où il est resté jusqu’à la libération. Pouquet lui-même n’a jamais été inquiété par la police ou la Kommandatur, malgré les nombreux passagers clandestins accueillis à « l’Abri »… Par contre, en tant que pasteur d’Oloron, il a reçu plusieurs visites d’officiers allemands en garnison à Oloron, fiers de leurs origines huguenotes françaises et très « corrects ».

 

Yano Charles

 

Charles Cadier en montagne                                          par Pierre Cadier, son fils – 1965

 

Il est bien difficile à un fils de dire ce que fut son père. Mais je puis vous assurer que parmi tout ce que nous avons reçu de lui, nous ses enfants, son amour simple et profond de la montagne se situe en bonne place. Dès que nous étions en mesure de mettre un pied devant l’autre, il nous y entraînait. L’un de nous n’avait pas six ans, que déjà c’était l’expédition au Pic d’Anie, tout à pied depuis Osse, notre centre familial. Il fallait son inlassable patience, sa bonne humeur et en même temps sa fermeté pour faire parcourir de si longues étapes à de si petites jambes.

Plus tard ce furent l’un après l’autre presque tous les sommets des Pyrénées occidentales. Et chacune de ces courses auxquelles il nous initiait était l’occasion de récits innombrables et émaillés de détails faisant revivre pour nous, à 20 ou 30 ans de distance, ce qu’il fit avec ses frères au Pays des Isards. Pas de panache. Les faits tout simples: comme si le Costérillou ou les Crabioules, parcourus pour la première fois par eux, étaient une affaire toute normale. C’était la même passion paisible pour les moments et les parcours faciles que pour les grandes heures où ses frères et lui sortirent des itinéraires battus et surtout des habitudes pratiquées par les pyrénéistes du début du siècle. Pas de porteurs et pas de guide. Le bivouac était de règle, aussi haut que possible, et avec une sobriété d’équipements qui nous donne froid pour eux lorsqu’on y pense: à cinq, sous un seul plaid léger recouvert d’une bâche de grosse toile; et cela au sommet de l’Anèto ou du Balaïtous. Il leur fallut quinze années de pratique du névé et du glacier avant de troquer le bâton pour le piolet: jusque là une hachette leur servait à tailler leurs marches. La corde? Oui, une cordelette pour tirer les sacs dans les cheminées trop exposées. Mais pour l’assurance on ne prévoyait rien.

Lorsqu’on 1950 – il avait 68 ans – je fis avec lui le Pic occidental de l’Ailefroide et le Dôme des Ecrins (le verglas nous empêcha ce jour-là la Barre, il en était tout déçu et discrètement me reprocha de ne pas oser passer) c’est tout juste s’il accepta de s’encorder. Etait-ce de l’insouciance? Peut-être un peu; mais c’était surtout le signe d’un grand calme intérieur, d’un tempérament solide et sûr. La simplicité du coeur se traduisait par la sobriété dans l’accoutrement et dans les gestes. Une harmonie du physique et de l’esprit. Une confiance en soi et une joie profonde qui animait toute l’existence, visible et invisible.

 

Un de ses fils – Pey

 

 

Revue Pyrénéenne du CAF

 

Article de Jean Cazayus, Jean et Pierre Ravier – mars 1966

 

« Collaborateur de son frère Albert, pasteur comme lui, Charles Cadier avait commencé à exercer son ministère a Oloron Sainte Marie. De 1909 à 1926, il fut missionnaire au Gabon où il accueillit le jeune docteur Albert Schweitzer; c’est également en ce lointain pays, sur les rives de l’Ogooué, qu’il vit naître Paul Keller, compagnon de l’un de nous à l’Himalaya il y a trois ans. De 1928 à 1949, il fut de nouveau pasteur des églises réformées d’Osse et d’Oloron… »

 

… » Un maussade jour d’hiver 1964 nous eûmes l’inoubliable privilège de pouvoir rendre visite à Charles Cadier de « parler montagne » avec lui…, de projeter aussi des photos choisies à son intention… Le BONDIDIER rapporta jadis une émouvante visite qu’il fit à RUSSEL (célèbre pyrénéiste anglais) peu avant sa mort…

 

Des termes identiques aux siens nous viennent à l’esprit pour traduire la même émotion, le même émerveillement que plus de cinquante années de distance, suscita, en nous cette fois, cet autre vénérable pyrénéiste en présence duquel nous nous trouvions. Notre étonnement à tous trois était à son comble d’entendre Monsieur Cadier énumérer et nommer avec précision et sans hésitation, sommets, cols, glaciers, vallées dont les multiples et changeantes images se succédaient sur l’écran…Les paysages que, depuis sa lointaine et vagabonde jeunesse pyrénéenne, il n’avait jamais revus, il les découvrait là -et il les connaissait exactement – avec un enthousiasme que le temps n’avait en rien altéré!… »…

 

Nous nous en voudrions, en achevant, de ne pas citer encore ces admirables lignes extraites de l’ultime lettre que nous reçûmes de Charles Cadier… : « Le grand Russel – nous écrivait-il – se répandait en regrets sur l’envol par trop rapide des beaux jours de sa jeunesse. Je ne parlerai pas comme lui, car si mon corps n’est plus guère qu’un poids mort, mon esprit ne cesse de se réjouir, intensément et avec une immense gratitude, à l’évocation de tout ce que – à travers ma longue vie – j’ai vécu de bon, de vrai et de beau, en montagne, au Gabon et dans notre douce France ».

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